Réflexions sur le métier d’orthophoniste

norme

L’orthophonie et la norme


Une première vision de l’orthophonie (dérivée du sens d’ « ortho » en grec : droit) serait de croire que notre profession a uniquement pour but de remettre nos patients dans la norme.

En effet, pour communiquer efficacement, il faut maîtriser le langage ou à défaut du langage un autre code de communication. Or, le langage, on ne peut pas l’inventer tout seul. Il nous préexiste et nous l’avons appris grâce aux personnes qui nous l’ont transmis. C’est un cadre social, une structure codifiée qui a ses règles et ses conventions. Le langage nous permet de communiquer avec les autres de manière très efficace, mais il est aussi aussi porteur d’une façon d’envisager la vie (valeurs), en somme d’une culture. Lorsqu’on transgresse les règles de notre langue, il y a toujours un membre de notre groupe linguistique pour nous rappeler à l’ordre et nous dire que nous avons fait une « faute », et non une simple erreur…

Lorsqu’un patient nous est adressé en orthophonie, c’est parce qu’en général il est en souffrance dans son langage et/ou sa parole, ce qui veut dire qu’il ne peut plus communiquer efficacement avec les autres. Il n’est plus dans la norme… On va alors diagnostiquer une pathologie et l’objectif de la prise en charge orthophonique sera de réduire la souffrance (et donc la pathologie), parfois de réduire l’écart par rapport à la norme (visible dans les tests étalonnés), et au final de mieux insérer le patient dans la société.

Exemples :

Un des objectifs de la rééducation d’un enfant présentant un retard de parole et/ou de langage sera de favoriser une bonne entrée dans le langage écrit. De même, en rééduquant une dyslexie/dysorthographie, on luttera contre l’échec scolaire, dans une société où le fait de ne pas savoir lire et écrire est un handicap majeur. En recevant un jeune patient victime de traumatisme crânien, l’orthophoniste aura pour objectif de restaurer ses capacités attentionnelles, afin de favoriser le retour du patient dans le monde du travail. En outre, la rééducation de la dysphagie post-AVC va permettre au patient de manger à nouveau normalement.
Dans ces cas, le patient rentrera dans la norme : la personne dysphonique réapprendra les bons gestes afin d’utiliser sa voix sans se fatiguer et de manière efficace…

Certes, l’orthophoniste peut parfois restaurer des fonctions (cognitives, motrices/sensitives…), mais il arrive souvent que le patient ne soit jamais complètement sorti de la « pathologie ». C’est le cas des patients handicapés moteurs/sensoriels, des patients aphasiques sévères ou des patients présentant des pathologies neurodégénératives…

 

Si l’orthophonie ne peut remettre ces patients dans « la norme », quel est son rôle ?

La maîtrise de l’outil langagier ? Certes, notre  rôle est de développer/restaurer la  maîtrise du langage, ce cadre structurant commun à toute une communauté, pour ne pas en être exclu. Pour autant, les orthophonistes ne sont pas des professeurs de français, car l’essentiel n’est pas la maîtrise de l’outil langagier pour lui-même. Chez l’orthophoniste, le langage n’est pas un but, c’est un moyen. Grâce au langage, l’orthophoniste va donner au patient des outils pour raisonner, réfléchir par lui-même, s’exprimer, avoir des idées nouvelles … Les formations Gepalm et Gogi-act par exemple, qui agissent dans ce but, ont beaucoup de succès auprès des orthophonistes. On peut aussi citer la méthode Chassagny qui concerne a priori davantage le langage écrit. Dans ce cadre, l’orthophonie prendra le sens d’ «élévation » (c’est le deuxième sens du mot « ortho » en grec) : le patient, au lieu d’être entravé dans ses possibilités d’expression et d’action sur le monde, va véritablement vivre grâce au langage. Ces paroles peuvent paraître trop lyriques voire utopiques mais cela arrive et heureusement (lorsqu’un petit patient se met à « penser par lui-même » dans une rééducation logico-mathématique, lorsqu’un enfant dyslexique découvre le plaisir de lire et d’écrire, lorsqu’un adulte aphasique est fier d’avoir réussi à exprimer sa pensée par les mots justes … tout autre exemple est le bienvenu).

 

L’adoption de nouvelles normes


Mais dans le cas où l’orthophoniste ne pourra plus seulement rééduquer, mais où il devra proposer des stratégies de compensation, d’adaptation ou des techniques palliatives, le patient est forcé de faire siennes de nouvelles normes, en bref d’autres manières de se comporter qui ne sont pas celles considérées comme normales et habituelles dans sa communauté. Il devra par exemple accepter, avec l’aide de l’orthophoniste et de son entourage, d’utiliser un cahier de communication en cas d’aphasie sévère, une prothèse phonatoire dans le cas d’une laryngectomie, un ordinateur dans le cas d’une dyslexie/dysorthographie. Même l’entourage devra parfois changer sa manière de communiquer avec son proche malade (faire des phrases plus courtes en cas de maladie d’Alzheimer ou d’aphasie chez les adultes, utilisation de pictogrammes ou de la langue des signes avec des enfants dysphasiques ou handicapés…). Ainsi, dans ces cas lourds, l’orthophoniste permet aux patients qui ne rentreront jamais complètement dans la norme de fonctionner différemment, de se réinventer en quelque sorte, afin de s’insérer dans la communauté et d’échanger avec les autres.

 

Georges CanguilhemGeorges Canguilhem, qui a beaucoup travaillé sur la notion de norme, a écrit : « Guérir c’est se donner de nouvelles normes de vie, parfois supérieures aux anciennes ». Selon ce philosophe, la caractéristique essentielle d’une personne saine réside dans sa capacité à se créer de nouvelles normes pour s’adapter à toutes les situations possibles. Cela la signifie que, pour les personnes saines comme pour nos patients, être dans la norme, c’est surtout ne pas rester figé dans l’échec et ne plus bouger. La normalité n’est pas le fait d’adhérer passivement à une structure ou aux normes du langage… L’orthophoniste n’est surtout pas là pour que le patient parle « comme il faut » ou « ne fasse plus de fautes d’orthographe ». Il l’aide souvent à s’approprier des structures normées socialement (le langage, les codes de communication non verbaux) ou parfois à l’écart des normes (moyens de communication alternatifs ou augmentatifs comme les pictogrammes, ou encouragement à s’exprimer par le l’art, dessin, la musique- voir Philippe Van Eeckhout), pour au final que le patient se réinvente de « nouvelles normes » aptes à lui assurer son statut d’être humain communicant.

 

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