Rassurez-vous, je ne vais pas vous dévoiler toutes mes pensées intimes dans ce billet ! Plutôt attirée par les ouvrages scientifiques et philosophiques, le roman Pensées secrètes de David Lodge fut une très bonne découverte, que j’ai eu envie de vous faire partager.
De quoi parle ce livre ?
C’est d’abord l’histoire d’une rencontre, ou plutôt d’une relation amoureuse et intellectuelle entre deux fortes personnalités. Ralph Messenger, spécialiste des neurosciences, brillant, médiatique et bon vivant, tente de séduire la romancière à succès Helen Reed, jeune veuve esseulée venue enseigner la littérature à l’université.
C’est aussi, si l’on préfère, une expérience à la fois littéraire et scientifique, rien de moins ! Le journal intime de chacun de ces deux personnages nous est dévoilé. L’histoire alterne plus ou moins entre la révélation des pensées de Ralph et d’Helen : le lecteur découvrira les « pensées secrètes » et parfois inavouables de Ralph, qui a décidé de s’enregistrer en parlant à un magnétophone. Son objectif est d’étudier la conscience humaine et ses liens intimes avec le langage. On y trouvera ses pensées telles qu’elles viennent, sans détours, et qui plus est sans tabou… On lira ensuite la transcription romancée du journal intime d’Helen.
Quoi de mieux qu’écrire et lire des romans pour étudier le phénomène de la conscience humaine, comme le pense le personnage d’Helen Reed ?
Les deux personnages s’affrontent sur la meilleure méthode à utiliser pour parvenir à observer la conscience : la recherche scientifique sur le cerveau pour Ralph, et l’introspection et l’imagination pour Helen. Sachant que Ralph, en étudiant sa propre conscience par l’introspection (journal intime) se rapproche sans le dire des convictions de la romancière… Je pense que le point de vue d’Helen est tout à fait pertinent : comme le disent Damasio et Naccache, la conscience se présente avant tout comme une narration, comme le roman ! Pour Damasio, le cerveau crée des cartes qui représentent à la fois le monde extérieur et notre corps modifié par l’environnement : ces cartes nous sont données à ressentir sous forme d’images -les musiques, les personnes, les objets etc.- qui sont mises en relation les unes avec les autres, ce qui forme une sorte de narration associée à un « sentiment de soi ».
Pourquoi lire Pensées secrètes :
• si vous rêvez depuis toujours de vous glisser sans bruit dans les pensées d’autrui
• si vous aimez les histoires de cœur (et de corps!) entre neuroscientifiques et écrivains
• si vous voulez savoir comment cela fait d’être une chauve-souris
• si vous vous intéressez au fonctionnement du cerveau et de la conscience
• si vous voulez lire un roman concernant de près ou de loin l’orthophonie
Connaître la conscience « en première personne »
La conscience reste encore un mystère, même après avoir tourné la dernière page du roman de David Lodge, et heureusement…
Mis à part la science à la troisième personne (utilisant des techniques visant à observer le comportement et à en déduire des états subjectifs, tels l’IRM) et l’introspection (où on va directement demander le ressenti subjectif de la personne), existerait-il une autre voie pour connaître nos pensées secrètes, notre conscience, nos états intérieurs les plus intimes ? En d’autres mots, la subjectivité est-elle accessible aux scientifiques ?
Je suis convaincue qu’une autre méthode d’exploration de la conscience peut y parvenir. Celle-ci existe mais est encore mal connue, bien qu’elle commence à être utilisée en neurosciences, et en sciences du langage notamment. Il s’agit de la cognition incarnée, issue des travaux de Francisco Varela (qui a conçu un nouveau modèle qui rompt avec le cognitivisme et le connexionnisme) et reprise notamment par Claire Petitmengin. Désormais, la connaissance des états subjectifs ne se cantonne plus aux romanciers et au domaine de l’imaginaire : la science « en première personne » se développe. Claire Petitmengin en particulier a développé une méthode scientifique d’investigation de la conscience, par l’intermédiaire d’entretiens dirigés qui permettent aux scientifiques de faire verbaliser l’expérience subjective d’une personne, à propos de la manière dont elle réalisera certains « gestes mentaux ». En effet, contrairement aux idées reçues, reconnaître les processus qu’on utilise pour être créatifs par exemple, est loin d’être une évidence. Il faut donc un médiateur chargé d’aider la personne à verbaliser son ressenti le plus fidèlement et le plus précisément possible.
Les méthodes d’investigation « en première personne », et notamment la neurophénoménologie, viennent nous aider à réconcilier l’objectivité et la subjectivité, tout comme Helen et Ralph, les héros du roman de David Lodge, réconcilient l’activité du romancier et celle du neuroscientifique.
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