Nous croyons vaguement savoir ce qu’est la motivation, alors qu’il s’agit d’une notion complexe. La motivation est à prendre en compte et pourquoi pas à évaluer car son absence est un obstacle à la mise en place du projet de soins du patient. Heureusement, l’absence de motivation n’est pas une fatalité : l’orthophoniste a les moyens de la susciter et de l’entretenir.
Que mettons-nous derrière le terme « motivation » ?
L’article de Cyril Hazif-Thomas reprend les différents modèles théoriques de la motivation :
- Paul Diel distingue l’excitation, le désir et la motivation.
Il ne suffit pas de manifester de l’intérêt pour quelque chose pour pouvoir dire qu’une vraie motivation est présente chez quelqu’un.
La motivation résulte d’un processus beaucoup complexe qui fait intervenir la prise de conscience d’un désir dit « essentiel » et la validation de celui-ci par autrui.
La vue d’un objet attrayant provoque l’excitation du sujet.
Si de la distance est ajoutée entre l’objet attrayant et le sujet, ce dernier vit une expérience de manque : le désir. Enfin, Diel émet l’hypothèse qu’il existe un ou des désirs essentiels chez l’être humain (valeurs morales comme l’altruisme ou l’honnêteté, désir de s’épanouir, désir de faire le bien autour de soi…). Les autres désirs sont en fait l’expression de ce désir essentiel, à condition que le désir essentiel soit reconnu et conscientisé.
Lorsqu’un désir essentiel est épanoui (reconnu et légitimé par soi et autrui), et que la reconnaissance positive de ce désir accède à la préconscience du sujet, alors ce dernier est capable de faire des choix qui seront en cohérence avec le maintien de son désir essentiel : dans ce cas la motivation sera présente.
Mais si le désir essentiel n’est pas épanoui, et que le manque de reconnaissance de ce désir accède à la préconscience du sujet , alors l’angoisse et la culpabilité vont être ressenties. Le désir essentiel va se disperser en des désirs divers et se dissoudre : dans ce cas le sujet sera démotivé.
- La neuropsychologie nous montre elle aussi que la motivation est un processus hautement complexe qui fait intervenir plusieurs régions cérébrales : voir schéma ci-dessous. La motivation est un savant mélange de fonctions exécutives et d’émotions.
- Sutter affirme que la motivation s’inscrit dans une réalité temporelle qui est celle de l’anticipation. On peut dire que la motivation est à la fois réalisation d’un désir et possibilité de projeter ce désir dans l’avenir.
Motivation intrinsèque ou extrinsèque ?
Deci propose une théorie comportementale de la motivation. Le degré de motivation dépend des conséquences positives ou négatives de nos comportements.
L’auteur fait la distinction entre plusieurs degrés de motivation, qui peuvent exister en même temps.
- Motivation intrinsèque : elle ne dépend que de la personne concernée, elle n’est pas imposée de l’extérieur. Elle correspond à une valeur à réaliser et à une volonté de se déterminer soi-même.
- Motivation extrinsèque : elle dépend d’une situation extérieure ou d’une autre personne : c’est le « besoin d’éviter quelque chose de désagréable ou besoin d’être récompensé par quelqu’un ».
- Un autre type de motivation apparaît en filigrane dans l’article : le pouvoir de contrôler le résultat qui suit le comportement du sujet. Ce type de motivation est intéressant car il met en lumière un des moteurs les plus puissants de l’action humaine : posséder du pouvoir sur ce qui nous entoure. L’amotivation est la conséquence selon Deci de la perte du contrôle des conséquences de nos comportements sur l’environnement.
Causes de l’absence de de motivation
Chez le sujet âgé, les sources de motivation extrinsèques diminuent : regard dévalorisant de la société sur les personnes âgées, échecs successifs… La personne âgée s’enferme de manière rigide dans le constat de cette dissonance entre l’image de l’adulte idéal et l’image de l’adulte qu’elle est devenue. L’intellect prend le pas sur les émotions et les ressentis, et ce faisant la personne n’est plus capable d’élaborer des « projections imaginaires » sources de plaisir. « L’excès de raison tue la motivation ». La personne fuit sa réalité devenue trop difficile à supporter, l’ennui s’installe et devient le ressenti dominant.
Le manque d’empathie de la part de l’entourage d’une personne âgée peut contribuer à la démotiver : à force de ne pas se sentir entendue et comprise, la personne va se replier sur elle-même.
Cette démotivation, qui est un refus de ressentir les pertes liées à l’âge (affectives, sociales, matérielles ou physiques), est à différencier de la dépression, dans laquelle la perte est acceptée mais le deuil est refusé, le deuil étant un processus qui aboutit à de nouveaux investissements qui sont sources de plaisir.
Comment reconnaître et évaluer le manque de motivation
- Des pathologies organiques associés à des signes physiques contribuent à l’absence de motivation et sont à traiter : troubles musculo-squelettiques, perte de poids, faiblesse de l’état général, moindre activité physique, épuisement.
- Affaiblissement de l’anticipation, causée par la peur (de l’avenir, du rejet social, de la solitude), la moindre envie de faire (manque de conation)
- Moindre envie de faire des choses
- Refus actif du contact avec autrui
- Angoisse d’abandon
- Apathie : incapacité d’être ému et de réagir
- Indifférence à l’échec
- Absence de plaisir dans la vie quotidienne
- Désapprentissage qui conduit à l’accroissement des incapacités et de la dépendance
Thomas (2001) propose d’évaluer la motivation chez la personne âgée démente et non démente, à l’aide de l’Échelle d’appréciation de la démotivation chez la personne âgée, (EAD). Sont évalués : la perte d’initiative, la perte d’intérêt et l’émoussement affectif. A partir de 37, le seuil critique de démotivation est atteint. La question 8 est à coter de façon inverse : si on coche « 1-Très souvent », il faudra compter 4 points, si on coche « 2-Souvent », il faudra compter 3 points, etc. Deux études ont montré une validité et une spécificité satisfaisantes de l’EAD. En particulier cette échelle évalue bien la démotivation et non la dépression même si des liens existent entre ces deux troubles.
Chez les enfants âgés de 4 à 10 ans, Emilie Kugler et Marina Claudron proposent dans leur mémoire d’orthophonie (2011) un questionnaire (disponibles dans les annexes) en début de prise en charge et en fin de prise en charge, afin d’évaluer leur motivation à venir en séance d’orthophonie. Cette motivation concerne l’envie de venir en séance et la conscience des troubles.
Manque de motivation : que faire ?
Chez les enfants, les résultats de Kugler et Claudron montrent que la motivation extrinsèque est majoritaire au départ : le patient est influencé par l’extérieur (demande de l’école, du médecin, des parents…). D’autre part, si l’orthophoniste laisse une large part d’autonomie à l’enfant en séance, la probabilité d’émergence d’une motivation intrinsèque augmente. Les moyens cités pour susciter et maintenir la motivation sont variés : établir une relation de confiance, donner des feedbacks positifs (encouragements, récompenses…), favoriser la prise d’initiative en laissant le choix du jeu, élaborer avec l’enfant les objectifs de rééducation, proposer à certains des situations de compétition, faire des pauses thérapeutiques… Enfin l’étude note que les parents déterminent pour une large part le degré de motivation de l’enfant.
Pour Thomas, l’environnement social joue un rôle majeur dans la démotivation du sujet âgé. La motivation dépend en grande partie de la qualité de la relation à l’autre. En particulier la capacité d’empathie des personnes que nous côtoyons joue un rôle déterminant. L’auteur semble dire que la société est en grande partie responsable de la perte de motivation de nos aînés. Heureusement la perte de motivation n’est pas irréversible. Une présence, une écoute bienveillante, le respect des ressentis des personnes âgées, vont pouvoir les aider à accepter les pertes inévitables liées à l’âge. Des thérapies non verbales comme la musicothérapie contribuent à reconnaître la personne âgée dans sa dimension affective. Ainsi, l’entourage au sens large peut contribuer à redonner à la personne le goût de vivre.
Par ailleurs, nous pouvons ajouter que la motivation est là où se trouve le plaisir. Les orthophonistes connaissent le pouvoir du plaisir en tant que moteur de la communication et de l’envie de venir en séance, surtout chez les jeunes patients. Le plaisir est parfois difficile à faire émerger, mais il est la clé de la communication. Lorsque la motivation intrinsèque (volonté de progresser par exemple) est absente, l’orthophoniste peut agir sur la motivation extrinsèque, en proposant au patient des activités qui procurent du plaisir. La méthode issue des principes comportementalistes mérite d’être étudiée à ce niveau, car elle distingue des types de renforçateurs (éléments qui permettent d’augmenter la probabilité d’apparition d’un comportement) sur lesquels le thérapeute peut jouer : renforçateurs alimentaires (nourriture et boissons en petites quantités), sociaux (câlins, bisous, chatouilles, félicitations, attention envers le patient…), tangibles (jouets, tablette tactile, activités, films…), activités (se balader, nager, courir, faire du shopping, faire de la balançoire, aller dans un parc d’attraction…). Il est possible d’évoluer dans le type de renforçateurs choisis et de les différer, en proposant par exemple de gagner plusieurs jetons avant d’accéder au renforçateur. Le renforcement de l’estime de soi participe également à la motivation extrinsèque car le patient construit peu à peu une image plus valorisante de lui, à ses propres yeux et au regard d’autrui. En prenant conscience qu’il peut réussir, le patient va pouvoir développer une motivation qui vient de lui-même, moins dépendante du regard d’autrui, et il accédera alors une motivation de type intrinsèque. Quand par exemple un enfant apprend à jouer d’un instrument de musique, sa motivation dépend d’abord de l’extérieur (encouragements, félicitations) avant de venir d’elle-même grâce au plaisir et à l’aisance ressentis avec la pratique de cet instrument.
Perspectives : et dans les autres pathologies ?
Le manque de motivation est rencontré dans d’autres situations que les orthophonistes connaissent bien : troubles du langage, autisme, aphasies, handicaps… Là où il y a une souffrance, la motivation peut être atteinte dans une ou plusieurs de ses composantes : désir de rencontrer l’autre, envie de faire, réaction à l’environnement, prise d’initiative… Dans tous les cas, la motivation est un enjeu crucial à prendre en considération pour l’évolution et le bien-être de nos patients.
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Je viens de découvrir vos articles sur notre « art » qu’est l’orthophonie : les sujets abordés sont vivifiants, ancrés dans la réalité passionnante des séances partagées avec les patients…pour peu que l’on y laisse entrer le plaisir de la relation humaine et la créativité… sinon gare à la routine et l’ennui!
Merci de partager ses valeurs , parfois peu transmises dans les écoles d’orthophonie!
Pour ma part, c’est une fois confrontée, jeune diplômée aux limites d’une approche trop technique, que j’ai exploré d’autres horizons et formations porteuses d’une approche plus globale du langage et de la relation de soin (la Pédagogie Relationnelle du Langage, les Ateliers d’écritures, PREL chez Cogi’act…), ainsi je ne m’ennuie plus dans des rééducations « sans vie » ; la motivation, la pensée et la singularité de chaque patient étant au cœur de la séance, à chaque fois différente.