Pourquoi devrait-on toujours sortir des sentiers battus ? La créativité à tout prix en orthophonie, est-ce souhaitable ?
Parfois, il est bon de se laisser porter !
Permettez-moi une anecdote personnelle. J’ai passé une après-midi à randonner dans la forêt avec mon compagnon. Notre première idée était de faire un peu plus de 15 kilomètres à pied de la gare de Fontainebleau jusqu’à Melun en passant à travers les petits chemins dans la forêt et en s’aidant de Google Maps. La question s’est posée du meilleur parcours à emprunter. Or, la mauvaise météo annoncée en fin d’après-midi ainsi que le risque trop important de se perdre nous a rendus plus raisonnables. Nous avons finalement opté pour un sentier balisé en jaune baptisé « Chemin des points de vue », d’où nous pourrions admirer divers sites remarquables depuis la forêt.
Mais surprise ! Suivre le balisage jaune n’a pas été aussi facile que je me l’étais imaginé. Les indications du guide que j’avais pris soin d’imprimer étaient plutôt difficiles à suivre à la lettre. Non seulement le plan de la randonnée était indiqué sans les détails, car plusieurs étapes se chevauchaient sur la carte, mais surtout, le temps entre deux étapes n’était pas indiqué, ce qui faisait qu’on pouvait marcher assez longtemps sans savoir exactement quand prendre le chemin indiqué ni même si c’était le bon chemin. Le repérage des balises jaunes sur les arbres ou sur les rochers s’est révélé une partie de cache-cache. Si bien que nous nous sommes retrouvés à prendre sans le vouloir un raccourci qui nous a fait rater plusieurs points de vue, mais qui nous a fait découvrir des chemins forestiers éloignés des touristes. Nous avons repris le chemin en arrière pour admirer quelques rochers prévus sur notre route.
Le ciel était joueur et nous a amené à revoir nos plans : la météo a décidé d’avancer l’arrivée du mauvais temps initialement prévu le soir, mais heureusement que le site de Météo France nous a averti de l’arrivée imminente de l’orage, nous obligeant à écourter la randonnée juste avant d’être piégés sous une pluie battante ! Au final nous n’avons pas eu l’impression de faire une randonnée toute tracée d’avance, nous l’avons vécue à notre propre manière même si nous avons suivi les indications.
Quels liens peut-on faire avec l’orthophonie ?
-
La créativité, l’innovation à tout prix, n’est pas toujours souhaitable. Nous pouvons nous autoriser à prendre des chemins déjà empruntés par d’autres avant nous et se dire que c’est légitime, c’est « correct » comme disent les Québécois. En suivant des théories, des étapes, des trames, voire des protocoles, on reconnaît qu’on souhaite savoir où l’on va et l’expliquer au patient, être rassuré sur l’efficacité de ce qu’on propose, et vivre des séances plus apaisées, qui seront moins grignotées par l’anxiété. Savoir où l’on va c’est tout de même reposant pour l’esprit !
-
Les balises sont des repères qui n’empêchent pas de vivre une belle aventure, car entre le plan sur le papier et la réalité du terrain, ce n’est jamais pareil. Quand on marche, il y a une place pour notre capacité à recevoir et à interpréter les indications. Suivre des balises ne dispense aucunement de réflexion personnelle, de communication avec son partenaire, d’adaptabilité. Aussi, les difficultés ne sont pas effacées : comme ma randonnée l’a montré, il y a de la place pour le doute, l’erreur, les retours en arrière, les surprises, les changements de plans. La météo et les circonstances extérieures, notre état de fatigue et de santé, l’état du patient ce jour-là, tous ces paramètres contribuent à rendre chaque rééducation unique même si l’on sait quelles grandes étapes on va franchir ensemble.
-
Passer par des chemins déjà empruntés, c’est non seulement être rassuré tout en se laissant la possibilité de vivre une aventure humaine authentique, mais c’est plus profondément développer une belle faculté humaine : l’humilité. Il s’agit de reconnaître simplement nos limites, de ne pas tout savoir, d’accepter de poser nos pas dans les traces de ceux qui sont déjà passés avant nous, d’apprendre des autres, et de transmettre notre expérience aux suivants. C’est s’inscrire dans une temporalité plus large que notre « petite » personne, et prendre conscience que l’on est partie prenante de l’aventure collective de l’orthophonie, créée et vécue de manière unique par tous les orthophonistes d’hier, d’aujourd’hui et de demain. L’orthophonie est riche de multiples praticiens et de manières d’exercer. Alors inspirons-nous les uns les autres !