Lorsqu’on pense « créativité », quels sont les mots qui nous viennent à l’esprit ?
Pour ma part, il y a « nouveauté », « art », « création », « originalité », « imagination »…
Définir la créativité
La définition du petit Larousse :
Premier sens : « Capacité, faculté d’invention, d’imagination ; pouvoir créateur ».
Le deuxième sens fait partie du vocabulaire de la linguistique (Chomsky) et fait référence à l’ « aspect de la compétence linguistique représentant l’aptitude de tout sujet parlant une langue à comprendre et à émettre un nombre indéfini de phrases qu’il n’a jamais entendues auparavant et dont les règles (en nombre fini) d’une grammaire générative sont censées rendre compte. »
Définition du Trésor de la langue française informatisé :
« Capacité, pouvoir qu’a un individu de créer, c’est-à-dire d’imaginer et de réaliser quelque chose de nouveau, et en particulier, en socio-psychologie, (…) , capacité de découvrir une solution nouvelle, originale, à un problème donné.
« Creativity is just conecting thing. » – Steve Jobs
La créativité ne serait-elle que le capacité de relier entre elles entre des choses déjà existantes, ce qui reviendrait à dire qu’on ne crée jamais rien de nouveau, comme le pensent les auteurs cités ci-dessous?
Définition de la créativité : « De nouvelles associations qui sont utiles. » Stanley Gryskiewicz (1987)
“Creativity is just connecting things. When you ask creative people how they did something,they feel a little guilty because they didn’t really do it, they just saw something. It seemed obvious to them after a while. That’s because they were able to connect experiences they’ve had and synthesize new things. And the reason they were able to do that was that they’ve had more experiences than other people.»
Steve Jobs
« La créativité est, dans les sciences, l’art d’additionner deux et deux pour faire cinq. » – Arthur Koestler dans Janus
En réalité, je suis convaincue que la créativité permet de faire naître des idées et des aspects de nous-mêmes réellement inédits. Revenons à Merleau-Ponty pour qui,« il faut comprendre le temps comme sujet et le sujet comme temps ». Or le temps pour le sujet consiste à se dépasser lui-même, à sortir hors de ce qu’il connaît déjà : « ma conscience d’exister se confond avec le geste effectif d’« ex-sistance » (étymologiquement : être hors de soi). Quelques pages plus loin : « Nous retrouvons la même notion fondamentale d’un être orienté ou polarisé vers ce qu’il n’est pas, et nous sommes ainsi toujours amenés à une conception du sujet comme ek-stase et à un rapport de transcendance active entre le sujet et le monde ». Cela signifie, comme le pensait également Sartre ( et sa célèbre citation « L’existence précède l’essence »), que nous créons à chaque instant notre propre vie : celle-ci n’est pas déterminée complètement à l’avance. Nous sommes des êtres libres qui recherchent constamment à s’orienter vers autre chose qu’eux-mêmes, notre définition est paradoxalement de ne jamais être complètement définis. C’est parce que nous sommes voués à la transcendance, de par notre inscription dans la temporalité, que nous sommes des êtres de créativité.
Fonctions exécutives et « nouveauté »
Or, on retrouve cette notion de « nouveauté » dans la définition des fonctions exécutives qu’en donnent Seron et Van der Linden (2000) : « ensemble des processus (d’inhibition, de planification, de flexibilité, de contrôle…) dont la fonction principale est de faciliter l’adaptation du sujet à des situations nouvelles ».
Plus récemment, des auteurs ont inclus la mémoire de travail dans les fonctions exécutives, peut-être parce qu’elle entretient un rapport au temps qui implique l’orientation vers un but et le contrôle de l’action. « Pour Fuster (1997), la mémoire de travail est spécifiquement engagée dans la représentation de la structure temporelle des conduites. Son rôle est d’unifier les différents éléments constitutifs des actions finalisées lorsqu’elles sont nouvelles et complexes. Cette structuration temporelle est asservie aux objectifs poursuivis et maintenue jusqu’à leur réalisation, ce qui permet d’atteindre des objectifs éloignés dans le temps. » De manière intéressante, on peut faire un parallèle entre cette conception de la mémoire de travail et le rôle de la temporalité chez Merleau-Ponty. En effet, on retrouve la même notion d’unification de l’action et du maintien de l’intention dans le temps chez le philosophe: « le temps maintient ce qu’il a fait être, au moment même où il le chasse de l’être ». Mais aussi : « la première opération de l’attention est donc de se créer un champ (…) où des évolutions de la pensée soient possibles sans que la conscience perde à mesure son acquis et se perde elle-même dans les transformations qu’elle provoque. »
Créativité et cerveau
Les fonctions exécutives font intervenir le lobe frontal, mais la région préfrontale est particulièrement sollicitée (Fuster, 1997, entre autres). Or, il est intéressant de remarquer que la mémoire prospective fait aussi intervenir les lobes frontaux (Burgess, 2000), ainsi que l’imagination. L’équipe de Conway, en 2003, a montré que les régions préfrontales montraient une activité plus importante dans une tâche où les sujets devaient imaginer un événement autobiographique, que lorsqu’ils devaient se souvenir d’un événement autobiographique réel, tâche dans laquelle les régions occipito-temporales étaient davantage sollicitées.
A l’inverse de l’hypothèse faisant entrer en jeu les fonctions exécutives dans le processus de créativité, il existe une étude menée par Liu et Braun (2012). Ces chercheurs se sont intéressés aux régions cérébrales activées lors d’une activité de création artistique. Ils ont demandé à des rappeurs d’improviser des paroles sur de la musique : ils ont alors observé une désactivation des régions frontales. « Nous interprétons cela comme une sorte de relaxation des « fonctions exécutives » qui permet de se défocaliser et de lever toute autocensure, afin de laisser libre cours à sa créativité », déclare l’un des chercheurs dans la revue Nature.
La créativité garde encore tout son mystère… Pour moi, les liens qu’elle entretient avec les fonctions exécutives mériteraient d’être explorés de manière plus approfondie.
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Bonjour, je lis vos articles avec beaucoup d’intérêt. Le rôle des régions préfrontales dans une expérience et pas dans l’autre s’expliquerait-il par l’aspect autobiographique de la première expérience même si elle est fictive. Les fonctions exécutives seraient sollicitées parce qu’il y a » je ». Les rapeurs n’avaient peut- être pas impliqué leur personne dans leur création.
Un évènement autobiographique qui s’est réellement déroulé est rangé ailleurs ( occipito-temporales donc) car il est déjà « construit ». Le fictif est à construire mais avec soi comme centre donc préfrontal. Je ne sais si je suis très claire. Merci en tout cas pour ce petit moment remue-méninges !
Bonjour, je vous remercie pour votre intérêt. Vous soulevez là une énigme passionnante sur les liens entre la mémoire, la créativité et le sentiment d’identité. La mémoire autobiographique, et donc les événements impliquant l’individu personnellement (qu’ils consistent à imaginer ou à se souvenir) concernerait d’abord le « soi » et serait stockée dans le cortex préfrontal, alors que le fait de créer quelque chose qui n’est pas directement en rapport avec notre sentiment d’identité désactiverait ce fameux cortex… Y aurait-il une créativité en rapport avec le « soi » et une créativité en rapport avec l’absence de conscience de « soi »? Peut-être que les livres de Damasio, qui a beaucoup travaillé sur le « sentiment de soi », pourraient nous éclairer sur ce rapport entre conscience, mémoire, créativité et cerveau!