Résultat d’une étude menée avec 522 orthophonistes
Dans l’article précédent, nous avons réalisé un inventaire de ce qu’il était possible de réaliser à l’intérieur du métier d’orthophoniste. Nous allons aborder maintenant le sujet de la diversification professionnelle.
Labortho remercie les personnes qui ont accepté de partager leurs expériences variées d’orthophonistes. Le but n’est pas de mettre en avant ceux qui ont fait le choix d’exercer une autre activité en parallèle de l’orthophonie, mais il nous paraît essentiel de faire savoir à tous les orthophonistes qu’il existe des possibilités d’exercer l’orthophonie autrement mais aussi d’autres activités professionnelles qui nous apportent beaucoup de choses en parallèle de l’orthophonie, humainement et financièrement.
Reprise d’études
Parmi les orthophonistes interrogés, 18 % ont indiqué avoir repris des études après le Certificat de Capacité d’Orthophoniste ; 11 % des répondants envisagent une reprise d’études. Le résultat est que 30 % des orthophonistes ont repris des études ou envisagent de le faire. Ce résultat témoigne d’une réelle soif de connaissances alliée à une volonté d’évoluer professionnellement chez les orthophonistes. Les diplômes qu’ont préparés les orthophonistes sont très souvent des D.U. (52 %). Ont été choisis ensuite des masters (27 %) et des licences (20 %). Les doctorats sont minoritaires mais font aussi partie des options choisies par les orthophonistes pour diversifier leurs diplômes (5 %). Enfin, 12 % des orthophonistes ont choisi une autre formation, comme Stéphane, Anne et Pascale qui ont préparé un diplôme de sophrologie. Marie-Laure* a choisi de suivre des « études d’acupuncture ». Christian a une « formation d’animateur d’ateliers d’écriture littéraires ». Colette*, quant à elle, a préparé un « diplôme de business management ». Les orthophonistes ayant repris des études ont même souvent préparé plusieurs diplômes.
Labortho a ensuite demandé aux orthophonistes concernés par une reprise d’études si ces diplômes leur ont ouvert la voie vers d’autres possibilités professionnelles. Les résultats au questionnaire révèlent que 51 % des orthophonistes ayant repris des études utilisent leur diplôme dans le cadre de leur métier : la reprise d’études sert dans tous les cas à enrichir la pratique professionnelle des orthophonistes. C’est l’avis de Dominique* qui a repris un master 1 de psychologie : « pour des raisons perso je ne suis pas passée en master 2, mais mon master 1 a enrichi ma pratique, donné plus de confiance ». Pauline*, qui a fait un D.U., a pu ainsi participer à des protocoles de recherche à l’hôpital et grâce à cela « améliorer la prise en charge des patients ».
Il ressort ensuite des résultats que 18 % des orthophonistes n’ont pas été jusqu’au bout de leur reprise d’études. Il s’avère que 12 % des répondants ont coché « autre », ce qui peut relever de réalités très différentes : « doctorat en cours » pour Alienor, « peu de retombées sur mon activité » pour Liliane*. Ensuite, 10 % des orthophonistes ont indiqué qu’ils sont finalement retournés vers l’orthophonie après leur reprise d’études. Enfin, 8 % affirment que des portes leur ont été ouvertes dans l’avenir et 1 % se sont orientés vers la recherche. Sophie, qui a fait un D.U. et un master, nous dit que « pour l’instant », ses diplômes ne l’ont pas menée vers d’autres possibilités professionnelles, « d’autant que je n’ai pas terminé mais je compte bien me diversifier grâce à mes nouveaux diplômes (formations, français langue étrangère…) ». Marie, qui a repris un master en sciences de l’éducation, nous a affirmé que le diplôme qu’elle avait préparé n’avait pas pour but un changement au niveau professionnel, mais son épanouissement personnel. C’est aussi le cas d’une autre orthophoniste, qui nous dit tout simplement : « Je fais ce master pour mon plaisir ».
Quand l’orthophonie est une reconversion
Nous remercions les personnes qui ont attiré notre attention sur le fait que leur choix de l’orthophonie s’était fait suite à une reconversion. Les personnes reconverties dans l’orthophonie nous disent d’abord leur satisfaction d’exercer ce nouveau métier. Florence résume son parcours : « Je suis devenue orthophoniste à 40 ans après avoir été en entreprise pendant 20 … Et je suis fière et heureuse de pratiquer ce métier … Ne serait le problème de la rémunération, je pense toujours à quel point j’ai de la chance ! » Hélène, ancien professeur de français langue étrangère pendant 7 ans, se sent bien plus épanouie depuis qu’elle est orthophoniste, « au niveau de la variété du travail et de la rémunération, même si l’envie d’exercer une profession plus « manuelle » en complément se fait de plus en plus présente ».
Florence, ingénieur avant d’être orthophoniste, nous a confié que son ancien métier a beaucoup influencé sa manière de penser et de pratiquer l’orthophonie. Elle nous fait part du sentiment de ne pas être enfermée dans son nouveau métier : « Le plus important c’est sûrement que comme j’ai plusieurs cordes à mon arc, je me sens « employable » pas seulement en tant qu’orthophoniste (donc avec accessoirement l’espoir d’un meilleur salaire), avec en plus l’intérêt de la double casquette ». Florence a mis du temps à se sentir vraiment orthophoniste… Elle a quitté sa casquette très cartésienne d’ingénieur pour aller progressivement vers une attitude plus souple adaptée à la variabilité humaine des patients. L’efficacité de ses prises en charge est présente, et c’est ce qui importe avant tout. Son ancien métier lui apporte beaucoup : « En réalité je ne me sens plus tellement ingénieur aujourd’hui, et j’aime vraiment être orthophoniste, dans sa dimension de soin et sa dimension relationnelle. Mon ancien métier m’apporte sûrement de la rapidité avec les outils informatiques, les moyens d’imaginer du matériel un peu rigoureux, et un regard très critique sur la recherche en orthophonie, et sur ce qu’on fait en séance… ça m’apporte aussi plus largement un point de comparaison entre deux modes de fonctionnement (salariat / profession libérale ; privé / secteur public de la santé, etc.) et mon expérience me permet aussi d’être plus proche de certains patients (j’ai beaucoup d’adultes, par choix), leur vie de salarié la plupart du temps, d’ingénieur parfois ».
Sophie nous rappelle enfin qu’un(e) orthophoniste est d’abord un être humain toujours en évolution. Nous ne sommes pas uniquement ce que nous faisons actuellement, mais nous nous définissions aussi par nos projets de vie. Ancien professeur de guitare, Sophie est aujourd’hui orthophoniste. Elle crée du matériel destiné aux prises en charge orthophoniques, et elle mène un projet de « box orthophoniques » destinées aux professionnels. Elle envisage également de faire de la formation : « J’aime aider, j’aimerais former… Et dans d’autres domaines encore, qui sait ?! »
Orthophonie et autres casquettes
Plus du tiers des orthophonistes interrogés (36 %) indiquent qu’ils n’aimeraient pas exercer d’autre activité professionnelle. Ce qui signifie que près des deux tiers des orthophonistes ayant répondu aimeraient exercer une autre activité professionnelle. Laquelle ? Plusieurs réponses étaient possibles. Une grande majorité (37 %) se verrait exercer une activité en lien avec l’orthophonie (formateur, enseignant en école d’orthophonie, chercheur…). On trouve ensuite l’envie d’exercer une profession liée au domaine de la santé (19 %) comme « neuropsychologue » pour Emmanuelle, ou encore « yogathérapeute ». Vient ensuite l’envie d’exercer un métier artistique (16%), un métier qui n’apparaît pas dans les choix (11 %) tel que « coach scolaire », « prof de FLE ou de langage des signes ». Une orthophoniste aimerait faire quelque chose « en lien avec la nature », R. envisage de devenir « consultante en lactation et allaitement ». Une profession manuelle est envisagée chez 6 % des répondants.
Les résultats au questionnaire Labortho révèlent que 17 % des orthophonistes exercent au moins une autre activité qui est aussi une source de rémunération. Ce cas est loin d’être la majorité des orthophonistes, mais il s’agit d’une tendance en progression puisque 6 % des orthophonistes ayant répondu à cette question envisagent d’exercer une autre activité professionnelle. Plusieurs personnes reconverties dans l’orthophonie parlent d’ailleurs librement de la question des alternatives au métier d’orthophoniste. Céline partage nos questionnements : « Intéressant ce point de vue sur « l’après ou l’autrement ». Étant orthophoniste après plusieurs expériences pro, cela me semble naturel. Même si j’estime que nous avons un métier qui recèle à lui tout seul des facettes multiples et riches, ce qui est je pense relativement rare ! » Caroline*, reconvertie dans l’orthophonie après deux autres expériences professionnelles, partage cette opinion : « Troisième métier, je l’exerce de multiples manières mais pourquoi pas encore autrement ou autre chose ? l’important est de se lever le matin en ayant l’envie. »
Parmi tous les orthophonistes ayant répondu au questionnaire, 4 % font de l’enseignement, 4 % ont une activité de formateur, 1 % créent du matériel orthophonique, et 0,5 % font de la recherche. Aucun orthophoniste ayant répondu au questionnaire n’a indiqué avoir aussi une casquette de neuropsychologue, ce qui implique en France de reprendre une licence de psychologie. En outre, 0,5 % tiennent un blog (même si cela n’est pas vraiment une activité professionnelle), et 5 % ont une autre activité qui n’était pas proposée dans les réponses. Bien qu’il n’était pas possible de cocher plusieurs réponses dans le questionnaire Labortho, il s’avère que plusieurs orthophonistes exercent plusieurs autres activités en parallèle de l’orthophonie. La créativité est au rendez-vous comme le prouvent les témoignages que nous avons reçus. Rosalie*, orthophoniste, est également formatrice, enseignante et animatrice d’ateliers d’écriture. Caroline, devenue orthophonistes après avoir exercé deux autres métiers auparavant, combine son poste à l’hôpital et son exercice libéral avec de l’enseignement, de la formation et de la création de matériel. Vanessa, orthophoniste en libéral, fait de « l’enseignement » et « de la vidéo qui est aussi une source de rémunération ». Mireille* fait de « l’enseignement-recherche » et de la « création de matériel ». Catherine, est à la fois orthophoniste, « formatrice, créatrice de jeux, chargée de missions pour Fondation Dyslexie, et professeur de pratique professionnelle ». Inès fait fructifier ses talents créatifs avec la « création de jeux orthos », une activité de « romancière » et l’animation d’une « chaîne Youtube ». Une autre orthophoniste, Laure*, est aussi « auteur », tout comme Stéphanie, rédactrice de livres pour la jeunesse. Henriette est orthophoniste et « secrétaire d’une ludothèque ». Anne a la fibre immobilière : elle exerce en Suisse et nous indique avoir trouvé une autre source de revenus en louant un « appartement en AirBnB ».
D’autres orthophonistes font judicieusement remarquer que des activités non rémunérées peuvent venir enrichir l’expérience personnelle et professionnelle des orthophonistes, comme c’est le cas de Nadine* qui s’investit dans du « bénévolat », de la « création de matériel » et une « association », ainsi que de Carole*, qui nous dit avoir une activité de « maman » . En effet nous voulons bien croire qu’être maman, activité humaine à part entière, change la manière d’être orthophoniste ! Solange* nous rappelle enfin que les activités personnelles sont importantes pour l’équilibre personnel : « je n’ai pas d’autre activité rémunérée, mais des activités « plaisir » qui permettent de sortir du cabinet et de maintenir un bon équilibre ! »
Les raisons évoquées pour exercer une autre activité professionnelle à côté du métier d’orthophonistes sont elles aussi très diverses. Plusieurs réponses étaient envisageables. La possibilité de transmettre ses connaissances et son expérience est citée dans 77 % des cas (nous rappelons que beaucoup d’orthophonistes ayant répondu à cette question ont une activité de formateur). Exercer une activité en dehors de l’orthophonie est aussi une manière de diversifier ses source de revenus (47 % des réponses). A cet égard, rappelons qu’une grande majorité des orthophonistes ne sont pas satisfaits de leur salaire (voir la partie 1 de l’étude). Le sentiment de se sentir utile à plus grande échelle est cité à hauteur de 41 %, la possibilité de partager ses réflexions sur le métier d’orthophoniste ou sur la société est plébiscitée à hauteur de 41 %. Pour 36 % des orthophonistes pratiquant une autre activité, cette dernière leur permet de sortir de la routine. De plus, 34 % évoquent le fait de pouvoir réfléchir et d’être davantage dans la théorie que dans la pratique. Carine affirme que son activité de formatrice est aussi un moyen de « faire évoluer (sa) pratique ». Pour 26 % des répondants, cette activité extérieure est une respiration par rapport au stress du métier d’orthophoniste. En outre, 25 % estiment que leur activité est une occasion d’ élargir leur cercle professionnel à des personnes extérieures au domaine du médical ou du paramédical. Grâce à leurs autres activités, 21 % des répondants se sentent plus reconnus, 11 % ont davantage confiance en eux, et 18 % se sentent plus proches de ce qu’ils ont envie de faire et d’être réellement. Pour 7 % des orthophonistes pratiquant une autre activité professionnelle, cette dernière leur permet aussi de voyager. Il reste 5 % des orthophonistes pour qui cette activité extérieure apporte quelque chose d’autre qui n’est pas cité dans les réponses.
Florence nous a confié qu’elle vit son autre activité professionnelle comme un exutoire face aux mauvais côtés de la profession : « Pour ma part, la création de matériel me permet de m’évader, d’échapper à la routine et au manque de considération de plus en plus pesant de certains patients ainsi qu’au manque de reconnaissance des médecins. »
Nous tenons également à citer à nouveau Sophie, orthophoniste et ancien professeur de guitare, qui s’interroge sur les raisons profondes du désir d’exercer une autre activité en dehors de l’orthophonie. Elle nous rappelle qu’il est important de bien se connaître soi-même pour savoir comment répondre à nos besoins d’être humain. « Je pense que si l’on se pose la question de faire autre chose, c’est que l’on est peut-être frustrées quelque part et que tous nos besoins ne sont pas satisfaits. Il faut déjà passer par la connaissance de soi-même, identifier ce qui nous fait vibrer. (…) Chercher sa voie, finalement, c’est vouloir être heureux ? Et qu’est-ce qui rend heureux ? Les relations sociales, les activités (loisirs, profession), l’engagement, le plaisir des sens et les joies, la satisfaction, la sérénité… L’orthophonie a aussi son lot de frustrations… On voit des pathologies tous les jours… On est sans arrêt centrés sur les autres… C’est important de se centrer sur soi, de savoir ce qui nous fait du bien, et d’en faire aussi notre quotidien (ou une partie de notre quotidien)… C’est vital de se retrouver soi-même, de savoir et ressentir ce qui nous fait vraiment du bien, de se permettre de le faire. »
Comme Sophie, nous pensons que la liberté aussi bien personnelle que professionnelle est avant un état d’esprit, un savoir-être, ou un « savoir-communiquer » qui s’apprend au fil du temps : savoir comment affirmer nos besoins sans culpabiliser et sans blesser les autres, savoir dire non, savoir être ferme quand il le faut, savoir respecter ses signes de fatigue, trouver le moyen de se détendre… Tout un programme de vie.
Conclusion
A chacun d’inventer sa pratique professionnelle, de la modifier au fil du temps, d’avoir l’esprit ouvert vers d’autres opportunités, de s’informer et de ne pas baisser les bras.
Tout est possible lorsqu’on est orthophoniste !
Si d’autres personnes ont envie de partager leur expérience d’orthophoniste à plusieurs casquettes ou pratiquant différemment, nous accueillerons avec grand plaisir leurs témoignages dans les commentaires.
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Notes :
– Les prénoms cités avec une astérisque (*) ont été modifiés afin de garantir l’anonymat des participants.
– Pour citation de cette étude, merci de bien vouloir indiquer la source :
« Étude Labortho.fr auprès de 522 orthophonistes (juin/juillet 2016) »
Merci pour cette étude fort passionnante. Je suis dans cette situation de vouloir exercer une autre activité pro, mais je rencontre des difficultés au niveau de mon syndicat départemental ! ma question sera très précise : j’ai un local avec deux bureaux, dont l’un est alloué à ma seconde activté indépendante. Suis je bien dans la légalité ? par ailleurs, pour cette deuxième activité, je dois faire poser un panneau (3mX1 m)visible de la rue : en ai je bien le droit ? ayant déjà été menacée par le syndicat, j’ai maintenant peur de bouger le moindre petit doigt !
formidable merci !