Joseph Schovanec est autiste. Il est aussi docteur en philosophie, polyglotte, et auteur de deux livres, Je suis à l’est ! , ainsi que Eloge du voyage à l’usage des autistes et de ceux qui ne le sont pas assez.
Un autiste voyageur
J’ai connu J. Schovanec lors d’une conférence donnée à l’Université Paris 6 en 2013. Avec une voix monotone et aiguë, il nous a fait part de son expérience de vie, relatant des anecdotes amusantes et très concrètes. Je me rappelle son humour très efficace : l’amphi, plein à craquer, avait été conquis. Je le retrouve aujourd’hui à travers son nouveau livre au titre paradoxal. Comment imaginer qu’une personne autiste, aux capacités sociales limitées et par définition adepte des rituels quotidiens rassurants, puisse aimer à ce point les voyages, qui sont synonymes de changement permanent ?
Le voyage, un acte subversif
Voyager n’est pas quelque chose de facile pour un autiste. Pour Joseph Schovanec, le voyage est une thérapie : c’est une manière d’échapper aux perspectives peu réjouissantes qui sont proposées aux autistes en France. Il déplore en effet que beaucoup d’autistes « passent leur vie dans des établissements clos », ou alors que ceux-ci n’ont pas beaucoup à espérer en termes de vie professionnelle et de loisirs. Pour sa part, Joseph Schovanec dit avoir des critères simples mais bien définis pour choisir ses hôtels (la facilité d’accès, le calme notamment). Mais le voyage, pour lui, est avant tout un acte de liberté. Le voyage que défend Joseph Schovanec n’est pas organisé, planifié à l’avance. Il nous invite, au contraire, à laisser de côté les guides et autres prêts à penser. Joseph Schovanec voyage dans des zones considérées comme dangereuses. Il ose aller là où les Occidentaux ne mettent jamais les pieds. Là où il devrait s’attendre à trouver des terroristes, il rencontre des êtres humains qui se révèlent très accueillants. Loin des guides touristiques qui mènent nos pas dans des sentiers trop connus, Joseph Schovanec nous invite à repenser le voyage comme une aventure nous enrichissant de nouvelles perspectives, un défi nous obligeant à donner une juste place à notre système de valeurs. L’essence du véritable voyage est à redécouvrir pour laisser place à l’imprévu et à d’autres manières de penser.
Le voyage, école de la mobilité de pensée
Antidote contre les idées reçues, le voyage est un outil pour repenser nos valeurs en les mettant en perspective avec celles d’autres régions du monde (« ni l’argent, ni la rationalité moderne ne sont tout »). Il permet également de prendre du recul sur la perception de l’autisme dans le monde : alors qu’en Occident cette pathologie est assez bien connue, les personnes autistes sont paradoxalement mieux acceptées par les sociétés non occidentales…
Une des caractéristiques des personnes autistes serait le manque de flexibilité de leur pensée (stéréotypies, intérêts restreints, stress à la perspective d’un changement dans leurs habitudes). Or, les voyages de Joseph Schovanec lui ont permis de se forger une opinion personnelle sur cette question. Il a constaté que les personnes neurotypiques ont une fâcheuse tendance à se définir par rapport à des catégories bien déterminées (nationalité, Etat, religion, période de l’histoire…) : elles croient sincèrement que leur système de valeurs, ou leur Etat,.. sont mieux que ceux du voisin. Ainsi, les Français pensent que Paris est la plus belle ville du monde. Pour les russes, ce sera Moscou. On croit également vivre à la meilleure époque de l’histoire, en termes de libertés individuelles notamment. Au sujet des congés payés, des médias, de l’Union Européenne, et même de notre conception de l’identité nationale, Joseph Schovanec remet profondément en cause nos certitudes. Il nous fait réfléchir de manière salutaire sur le monde d’aujourd’hui et remet en question toutes nos idées préconçues, jusqu’à celles qu’on ne pensait pas porter en soi.
Un homme libre
Contrairement aux neurotypiques, les personnes autistes ont plus de difficultés à se définir par rapport à des classifications figées. C’est sûrement aussi leur force. Joseph Schovanec, pour sa part, est indifférent au luxe tel que défini habituellement, sa difficulté à faire des associations figées entre concepts (palmier/vacances, par exemple) le rend peu sensible aux messages publicitaires et il ne reconnaît pas facilement les personnes à leur visage, ce qui lui permet de ne pas faire rentrer les gens dans une catégorie prédéterminée. C’est aussi ce qui le rend philosophe, apte à s’interroger sur ce qui nous semble évident.
Joseph Schovanec, homme aux multiples langues, est assurément un humaniste. Un homme sans frontière et sans fard, qui nous tend malicieusement un miroir reflétant l’emprisonnement de la pensée ordinaire. Poétique, humaniste et s’inscrivant dans l’actualité, sa réflexion nous invite à un voyage tant à l’extérieur qu’à l’intérieur de nous-mêmes. Lire Joseph Schovanec c’est prendre conscience qu’on n’est jamais aussi libre qu’on le croit.
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