Encore jeune orthophoniste, je souhaite aborder dans ce billet la question de la fin d’une prise en charge. C’est une question cruciale mais qui est loin d’être facile à aborder.
Comme les kinésithérapeutes, les orthophonistes sont amenés à voir leurs patients de manière régulière, en général une ou plusieurs fois par semaine. Cette régularité a plusieurs avantages sur le plan du soin : l’instauration d’une relation de confiance et de proximité thérapeutiques, une meilleure connaissance du patient, de ses progrès et de ses difficultés au fil du temps, des échanges plus fréquents avec l’entourage, la possibilité d’obtenir des progrès plus rapides, entre autres.
Mais cette régularité a aussi quelques revers : a priori, on ne peut pas savoir combien de temps va durer la prise en charge (plusieurs séances ? quelques mois ? plusieurs années?) et on ne peut pas répondre au patient précisément s’il nous pose la question. De plus, le patient et/ou l’orthophoniste peuvent ne pas oser remettre en question la prise en charge par habitude et/ou gêne à aborder la question, des malentendus au sujet des « vacances » des uns et des autres peuvent surgir…
D’après moi, même si je n’ai pas de solution toute prête, la décision d’arrêter une prise en charge se fera surtout en fonction de la motivation du patient et de l’objectif initial fixé avec lui et sa famille.
L’attitude du patient
Comme j’aime souvent à me le rappeler, on est toujours deux en orthophonie ! Il y a des orthophonistes qui ont de l’énergie pour deux, et je les admire beaucoup (comme Philippe Van Eeckhout que j’ai déjà cité dans mes articles). Mais la plupart d’entre nous, même si les sourires de leurs patients leur donnent beaucoup d’enthousiasme, ont juste de l’énergie pour elles-mêmes, et ont besoin que le patient manifeste son adhésion a minima. Il me semble que le patient, tout autant que l’orthophoniste, doit être acteur au cours de la séance, ou au minimum y consentir, via le langage verbal ou non verbal. Le refus du patient peut alors être une cause de l’arrêt des séances. Cela m’est arrivé avec une dame âgée, aphasique, très désorientée et présentant de gros troubles visuels et des troubles de la compréhension. Elle refusait tout ce que je pouvait lui proposer : refus verbaux (« cela ne sert à rien », propos agressifs, ironie) et non verbaux (détournement de la tête…). Après quatre mois de prise en charge dans ces conditions, je me sentais assez inutile et je ne voyais plus ce que je pouvais lui apporter, à part une mise en échec permanente.
Le non-respect du cadre thérapeutique peut également remettre en cause le suivi : c’est l’exemple des patients qui ne viennent plus à leurs rendez-vous ou qui annulent trop souvent, que ce soit pour de bonnes ou de mauvaises raisons. On peut aussi citer le cas des patients qui ne règlent pas les séances ! La régularité de la prise en charge et le respect de l’orthophoniste étant des conditions de l’efficacité des séances et de la confiance mutuelle patient-thérapeute, il vaut mieux arrêter si le patient n’est pas motivé, et lui proposer de revenir lorsqu’il sera plus disponible.
Arrêt en fonction des stratégies définies au début de la prise en charge
Il peut arriver que la demande adressée à l’orthophoniste concerne la prévention des troubles langagiers. Dans ces cas-là, un bilan d’investigation suffira, et il pourra être proposé au patient et à sa famille de revenir quelques mois plus tard afin de détecter et de prendre en charge des troubles éventuels apparus entre-temps (exemple : bégaiement chez le jeune enfant).
Lorsqu’il y a un trouble avéré, plusieurs stratégies peuvent être mises en place. Ces dernières dépendent à la fois du trouble, du patient, de son entourage et de l’orthophoniste.
Dans un monde idéal où le patient viendrait avec une plainte que l’on pourrait faire disparaître grâce à des séances de « rééducation-médicament », la prise en charge s’arrêterait d’un commun accord lorsque le « problème » du patient est réglé, lorsque sa plainte a disparu. Or, il est assez rare que l’objectif des soins orthophoniques soit une disparition complète des troubles. Quelques exemples peuvent être cités, avec précaution toutefois : rééducation des troubles aphasiques et neurovisuels avec bonnes capacités de récupération, correction des troubles de la déglutition, articulatoires, vocaux, rééducations des retards de parole, techniques d’aide à la reprise alimentaire (dysphagies structurales)… Ici, il s’agit de pratiquer des techniques visant à restaurer des fonctions : on arrête lorsque le patient ne présente plus de troubles objectivement observables, lorsqu’il est revenu dans la « norme ». Dans ces cas, les effets quantitatifs de la rééducation (disparition du trouble) se combinent automatiquement avec les résultats qualitatifs (disparition de la plainte).
Mais beaucoup plus fréquemment, les orthophonistes sont amenés à proposer des stratégies visant à remédier aux difficultés du patient sans les « guérir » totalement. Par exemple, le patient dyslexique gardera toujours des traces de sa dyslexie dans sa vie quotidienne : la rééducation compensera le trouble mais ce dernier sera toujours présent en filigrane. Dans le cas des aphasies également, le patient garde souvent des séquelles de troubles du langage et/ou attentionnels. Faut-il arrêter les séances si le patient garde des troubles ? J’aurais tendance à dire qu’il faudrait arrêter quand le patient a compensé ses difficultés d’une manière qui lui permette d’être autonome dans la société (travail, école, loisirs…), en tenant compte de ses demandes spécifiques éventuelles (prendre des notes, conduire à nouveau, apprendre à gérer son tiers-temps…).
Dans le cas des maladies neurodégénératives, il n’est pas évident de savoir où s’arrête la prise en charge, qui vise justement à « maintenir » les capacités langagières et cognitives le plus longtemps possible. Tant que le patient est en demande, et tant qu’il y a des bénéfices des séances d’orthophonie en termes de communication, de confort alimentaire notamment, la prise en charge peut continuer.
Changer de stratégie ou arrêter ?
Il arrive souvent que les prises en charge en orthophonie durent plusieurs années, et parfois, il arrive qu’on se pose des questions sur les objectifs qu’on avait fixés au départ, car ceux-ci ne sont plus efficaces.
Des questions se posent alors : faut-il arrêter lorsque le patient ne bénéficie plus de ses séances, par exemple s’il est mis en échec systématiquement au cours d’une maladie neurodégénérative ?
Faut-il rester jusqu’au bout, quitte à changer de stratégie ? Selon le désir du patient, de l’orthophoniste et de l’entourage, la prise en charge pourra se poursuivre jusqu’à la fin de la vie du patient. Les objectifs seront de maintenir le lien avec le thérapeute, et/ou avec l’extérieur (mise en place d’une communication multimodale ou alternative, séances avec la famille pour donner des conseils sur la meilleure manière de communiquer avec le patient, etc).
Si la rééducation n’avance pas avec un patient, peut-être faut-il essayer autre chose : ne pas se focaliser sur le trouble pendant quelque temps, essayer une autre méthode (Padovan…), investiguer d’autres domaines comme les capacités logico-mathématiques ou envoyer le patient vers un/une collègue…
Parfois, il peut être utile de prendre le temps de communiquer sur le cadre de la prise en charge et de se recentrer sur les ressentis du patient afin de dissiper tout malentendu éventuel qui pourrait mener une prise en charge à l’impasse. A ce sujet, je vous invite à lire le billet de Guillaume « Ces non-dits thérapeutiques qui en disent long ».
Une autre manière de fonctionner ?
Nous savons tous que les orthophonistes en libéral sont très demandés, et les listes d’attente s’allongent (cela dépend aussi des régions). Lorsqu’on reçoit un appel, surtout pour une prise en charge « urgente » (AVC, reprise alimentaire, bégaiement…) et qu’on n’a plus de place à proposer, on se sent en général désolé de ne pas pouvoir répondre à cette nouvelle demande. Comment faire pour libérer des créneaux pour les nouveaux patients tout en ne pénalisant pas les anciens ?
Je fonctionne pour le moment de manière « classique » mais je proposerai une piste pour organiser autrement nos prises en charge : mener des rééducations intensives dont la durée aura été déterminée ensemble à l’avance (6 mois par exemple), quitte à reprendre 6 mois plus tard. Faire des pauses plus souvent pourrait alors être une solution.
L’investissement maximal de la famille et/ou l’entourage du patient serait alors nécessaire lors des « pauses » afin que la prise en charge porte ses fruits. Mais c’est loin d’être le cas pour tous les patients. Dans ces cas, la présence de l’orthophoniste reste indispensable à mon sens.
Des liens riches et durables
Je souhaite à nouveau insister sur la motivation du patient : c’est sa demande qui doit nous servir en priorité de guide dans notre décision de continuer ou d’arrêter les séances.
Il serait aussi intéressant de chercher à renforcer l’investissement de l’entourage du patient (si possible bien sûr), afin que lorsqu’on décide d’arrêter les séances d’orthophonie, le patient ne se retrouve jamais seul avec ses troubles, mais avec des personnes qui sauront l’aider.
Autre réflexion pour conclure : dans un monde obnubilé par la vitesse et l’efficacité à court terme, peut-être faut-il simplement accepter le fait que les orthophonistes exercent une profession où l’on a besoin de construire une relation durable au long cours avec le patient, une relation avec ses hauts et ses bas, avec ses moments d’enthousiasme ou d’ennui, ses semaines où l’on voit clair dans ses objectifs et ses semaines (ou mois) de remise en question, avec ses pauses ou non, ses ruptures aussi… Les orthophonistes exercent une profession de santé où de tels liens riches et durables peuvent être tissés, je pense que c’est une chance à l’heure actuelle !
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Bonjour je vient de me faire viré par une orthophoniste avec impatience au bout de plusieurs mois des absence à répétition beaucoup très peu de rendez-vous venue et parfois jamais je suis aller la voir le semaine dernière elle a penser c est excuse quand j avait dit la raison valable
elle voulait rien en entendre et je fait met imilier en me rabaissant une remplaçante pourtant elle était cool pendant des mois
Bonjour,
je me permets d’ajouter cet extrait d’interview du Pr. Vervloet dans un numéro au sujet de l’immunothérapie. Son retour au sujet de l’observance thérapeutique est intéressante et me semble universelle :
De l’observance à l’adhésion thérapeutique…
Pouvez-vous nous expliquer ce qu’est l’observance ?
PR D. VERVLOET :
Plusieurs notions méritent d’être définies :
•La compliance est un terme qui traduit une obéissance passive : c’est-à-dire que le malade « accepte » l’ordonnance du médecin.
•L’observance thérapeutique correspond plus à un comportement objectif et dynamique de la part du patient.
•L’adhésion thérapeutique signifie que le malade collabore à la proposition thérapeutique que le médecin a élaborée en fonction de ses préoccupations. Cette adhésion entre dans un cadre de projet thérapeutique et dans le contexte d’une motivation du patient vis-à-vis des recommandations médicales. L’adhésion thérapeutique ne peut être obtenue que si le malade a accepté sa maladie et compris l’intérêt des traitements proposés.
Les facteurs liés au patient :
• l’âge : par exemple l’adolescence est une période difficile ;
• la non-acceptation de sa maladie : résistance ;
•la mauvaise compréhension de la nécessité du
traitement : pourquoi faut-il prendre un traitement
même en dehors des crises ?
•le manque de confiance en son médecin qui induit
le plus souvent un nomadisme médical ;
•les croyances et représentations de la maladie :
fatalité, injustice…
Les facteurs liés à la maladie :
•l’observance diminue avec le temps ;
•en dehors des crises, le malade va bien, ce qui
l’amène à ne pas prendre son traitement
Les facteurs liés au traitement :
• la peur des effets secondaires des médicaments, notamment la corticophobie dans l’asthme ;
•les régimes complexes ;
•la routine du traitement (lassitude) ;
•les prises multiples journalières.
Les facteurs liés au médecin :
•la mauvaise relation médecin/patient ;
•le manque d’écoute et d’empathie de la part du médecin ;
•la trop courte durée de la consultation (manque de
temps).
Comment peut-on améliorer l’observance et l’adhésion thérapeutique ?
Pr. Vervloet :
Il est indispensable de prendre en compte la maladie et le malade. Il est nécessaire de proposer au malade une thérapeutique personnalisée en intégrant ses souhaits. Pour mener à bien cette prise en charge, il est impératif de se donner le temps d’écouter le malade. (…) En effet, pour que le médecin puisse prendre en charge correctement son patient, il est nécessaire que ce dernier s’exprime sur sa maladie, son traitement…
Les écoles de l’asthme présentent, entre autres, l’intérêt de permettre des bilans éducatifs, en groupe et individuellement, pour arriver à mesurer la motivation
des patients.
Pour que chaque patient « réussisse » sa prise en
charge, il est nécessaire :
•qu’il comprenne réellement l’information sur son
traitement et sa pathologie ;
•qu’il adhère à ces informations et décide de
« changer » de statut, c’est-à-dire accepte sa
maladie chronique ;
•qu’il initie sa prise en charge et la maintienne
dans le temps.
L’éducation thérapeutique est efficace à condition qu’on y intègre le plan d’action personnalisée écrit où sont expliqués les signes d’aggravation et les premiers gestes à réaliser. Des outils éducatifs adaptés à l’âge du patient sont à la disposition du corps médical.
Il faudrait supprimer le mot « ordonnance » et le remplacer par une proposition thérapeutique qui permettrait d’améliorer l’adhésion thérapeutique dans un projet partagé entre le médecin et son malade (le contrat médecin-malade)
**** Ces commentaires issus de l’expérience clinique – et même si elles proviennent d’un immunologiste qui oriente son activité sur l’asthme – peuvent être valables pour l’ensemble des patients que nous accueillons. Labortho offre la possibilité d’un continuum éthique et clinique, pour des questions « pratiques » il est nécessaire de diviser artificiellement les approches, les thèmes abordés même si au final on parle de la même chose : l’amélioration de l’accompagnement thérapeutique en orthophonique sous des critères humanistes, déontologiques et scientifiques. En complément de cet article, il peut être lu les approches au sujet du bénéfice de la lenteur, comment être un ortho Zen ? , orthophonie et éthique, les approches multimodales afin d’avoir une vue d’ensemble de ces dispositifs qui peuvent être mis en place. Merci pour ce joli billet ! 😉
Oh la la ! Je dirais que cette réflexion est à mener au regard de la pathologie, du contexte et des effets des méthodes de rééducation. Par exemple, la LSVT préconise des sessions de quelques semaines mais intensives et s’adresse à des patients répondants ; la rééducation de l’aphasie se base également sur la plasticité cérébrale et se doit d’être envisagé de manière intensive en post-AVC ; proposer une rééducation sur le même mode à des enfants avec des troubles des acquisitions scolaires sans tenir compte de la charge cognitive liée au contexte scolaire ne serait à mon sens pas approprié ; face à des syndromes dégénératifs avancés, vous pouvez vous sentir dans l’impuissance tandis que le patient lui vous renvoie les effets bénéfiques des séances (effets réels ou supposés) : conclusion : vous contribuez à une meilleur qualité de vie. Et, puis, il y a la pression de la demande avec des cas d’urgence… Je dirais qu’il n’y a pas de règle, c’est au cas par cas, selon chacun, selon ses propres limites, selon une multitude de facteurs. Une chose est sûre, patient ou thérapeute ne sont pas engagés dans un CDI et il est important de vérifier régulièrement, d’interroger l’implication dans une co-construction. Etre patient, c’est avant tout être acteur de sa rééducation.